d'après
Gœthe
traduction
Gérard de Nerval
mise en
scène, scénographie, adaptation
Airy Routier
images
Emmanuel Valette
lumières
Airy Routier
Guillaume Junot
costumes
Virginie Gervaise
conception sonore
Philippe-Emmanuel Sorlin
avec
Airy
Routier
coproduction
Compagnie du Hérisson,
Le Moulin du Roc-Scène Nationale de Niort et le Théâtre
Paris-Villette avec le soutien de la DRAC Ile de
France
Maïa BOUTEILLET Publié le 16-10-2003
Airy
Routier prend le diable par le jeu.
Seul
en scène, l'acteur propose une étonnante traversée du mythe
faustien.
Qui est-il celui qui tranquillement s'avance, jeans et
tee-shirt passe-partout, comme pour rejoindre les bancs des
spectateurs et finalement passe, un éclat de malice au fond
du regard, pour aller appuyer sur l'interrupteur ? Cadré en
plan américain dans une petite boîte noire au fond d'images
changeantes, façon castelet de marionnettes d'où il peut
télécommander musiques et jeux de lumières, Airy Routier
livre à lui seul une traversée du mythe de Faust (avec le
texte de Goethe dans la traduction de Gérard de Nerval) en
une heure trente tout compris - avec préliminaires,
crescendo et descente - assez réjouissante.
Un peu de blanc sur le visage, les doigts passés à la
va-vite dans les cheveux qui prennent un tour à la
Frankenstein : la métamorphose s'opère à vue. Le temps
d'enfiler une blouse blanche, de courber le dos sous le
poids des ans et de poser quelques objets (crâne, grimoires
clignotants et autre bocal bouillonnant) et l'on se
retrouve illico dans le cabinet du vieux docteur en proie
au désespoir. La main balaie les cheveux dans l'autre sens
et aussitôt apparaît le diable. Un nez postiche suffit à le
changer en sorcière. Un foulard de soie rouge au bout d'un
poignet délicat, et Marguerite est là, frissonnante
d'amour.
Plongeant sous le décor et reparaissant avec un visage et
un corps à chaque fois différents, Airy Routier opère une
étonnante série de volte-face, dans une sorte de
champ-contre-champ d'un personnage à l'autre. Avec,
derrière la variété des combinaisons possibles et les
vrais-faux tours de magie, le regard toujours en veille de
l'acteur tourné vers son public. Le diable n'est-il pas le
premier des comédiens ?
Mine de
rien, en deux coups de Rubix Cube, Airy Routier touche à
l'art de l'acteur, la part irréductible du théâtre. Dans le
programme remis au spectateur, le jeune homme a glissé un
texte de Barthes qui se termine ainsi : «La lutte pour un
meilleur statut professionnel est solidaire d'un art
critique. L'acteur doit aider lui-même à se dégager des
mythes dont on lui fait gloire et qui ne servent qu'à
l'exploiter.» C'est de 1958, et d'aujourd'hui.
MOUVEMENT
Mari-Mai
CORBEL Publié le 02-10-2003
Diablotin
de foire
Faust traduit par Nerval se retrempe sous la conduite
d'Airy Routier à l'esprit de Goethe. Un théâtre de poche
dont le fronton porte à la craie jaune « Théâtre National
», évoque les cercles romantiques, quand la découpe des
silhouettes ou le théâtre de marionnettes retenaient dans
leurs mailles quelque obscur objet du désir.
Le diable, c'est l'ennui, selon un grand metteur en scène.
Apparaît un jeune homme avec un rubix cube en main : un
acteur dans l'angoisse de la scène blanche ? D'un tour de
magie, surgit Faust en son laboratoire ou peut-être,
docteur Mabuse. La créature se dédouble en Méphisto,
Méphisto en Sorcière, la Sorcière fait apparaître le
portrait d'une belle... Faust devient Marguerite et vice
versa. Ce transformisme évoque Carmelo Bene, dont l'art
issu des futurismes italien et russe, descend de Meyerhold.
Mille trouvailles dans les accessoires : mygale velue de
farces et attrapes, carte postale d'un village du midi,
pull-over de tennisman et Riviera pour Faust l'ennuyé...
C'est un diable qui bombe son torse nu, un mauvais garçon
qui retourne ses vestes de soie, un éternel adolescent qui
envoie les musiques de Gounod à Moby Dick, un androgyne qui
change de voix. Le théâtre se fait baraque de foire.
Méphisto prévient: grâce au désir «tu verras, en chaque
femme, une Hélène». Le peu de réalité du monde se
résumerait à des jeux d'ombre et de lumière. À moins qu'il
n'existe un amour réel... Les six couleurs du rubix cube
sont énumérées par les éclairages à mesure des scènes. Une
connaissance méditée du mythe, a épuré leur choix. Airy
Routier, elfe ou histrion, raconte avec l'histoire de Faust
l'ironie d'un tragique moderne. - Que la politique commence
! est son dernier mot.
L'ALSACE
Dominique
Feig-publié le 26/11/2004
Rêve
prométhéen...
s'emparer d'un des plus grands mythes de l'humanité, , le
faire sien en assurant à la fois mise en scène,
scénographie, régie son, régie lumière, et last but not
least, en interprétant tous les rôles de l'œuvre de
Gœthe, voilà le pari fou lancé par un Airy Routier
inspiré en diable!
Semaine
"Faust" dans la petite salle de la Manufacture avec un
"diablotin de foire" qui nous aura concocté une version
inédite de la monumentale pièce de Gœthe. Première
difficulté donc : comment adapter la richesse et la densité
du mythe en un espace réduit à la taille d'un castelet;;;
Réponse d'Airy Routier : en revenant à la tradition des
bateleurs et des marionnettistes du XVIII siècle, époque ou
Faust était l'objet d'innombrables et populaires spectacles
de marionnettes. Pas de versions modernes donc, revue et
corrigée par les adeptes de la contingence. les seules
concessions que s'autorise Airy Routier sont d'ordre
musicale : la technoparade tient lieu de Sabbat tandis que
Mobby et Elvis jouent les guest stars. et si la
télécommande et le Rubik's cube lancent la machine
infernale, c'est pour mieux entrer dans une imagerie
populaire parfaitement connue et balisée. le diable prend
une voix rauque, sa couleur préférée est le rouge et ses
apparitions s'accompagnent de musiques atonales et
mécaniques! Mais le défi d'Airy Routier prend toute sa
mesure lorsque le comédien se maquille et se livre de
métamorphoses en métamorphoses à 1h25 de performance
d'acteur...Tour à tour Faust, Méphisto, sorcière et
Marguerite, le diable d'homme multiplie les prouesses en
modifiant le registre de sa voix ou un détail de son
costume. Apparaissant ici, disparaissant là, Airy Routier a
le don d'ubiquité et change de physionomie en un tour de
main! En arrière plan des paysages de cartes postales ou
des planches d'anatomie donnent le ton : entre rêve et
cauchemard le docteur Faust entame sa longue descente aux
enfers... Malgré l'amour de Marguerite la rédemption finale
n'aura pas lieu. Le rêve prométhéen du chercheur de vérité
aura été vain...
LE
COURRIER DE L'OUESTPublié
le Jeudi 20 Novembre 2003
Une représentation supplémentaire du "Faust" de Airy
Routier sera donné ce soir à 20h30 au Moulin du roc après
avoir connu le succès deux soirs de
suite.
Qui
est ce personnage en jean et tee-shirt qui, dans un rituel
buto, se poudre de blanc et aligne tranquillement ses
marottes et objets fétiches sur le rebord d'une télé grand
écran? Qui est ce vieux savant fou, scientifique égaré dans
un laboratoire de nulle part interrogeant ses fioles en
déplorant son ignorance rageuse après tant d'année de
recherches compulsives? qui est ce séducteur de foire
errant de village en village à la recherche d'une
Marguerite à effeuiller pour vérifier l'existence de
l'amour et de son corollaire désir?
En quelques virevoltes théâtrales, Airy Routier réussit le
tour de force d'emmener son public dans des contrées
pleines de doutes et de savant déséquilibres. Le texte
magistral de Goethe, traduit par Gérard de Nerval,
constitue le fil d'Ariane que déroule le comédien.
Les
méandres du désir
Le jeune
Faust, telle une marionnette emprisonnée dans son théâtre
de Guignol nous présente à nous-même les méandres et
circonvolutions de nos désirs, de nos peurs, de nos
lâchetés, de nos victoires et de nos renoncements en
incarnant tour à tour Méphisto, la timide Marguerite,
Belzébuth et son ricanement ébouriffant, par une succession
de pirouettes et de changements de costumes que le
comédien, seul dans son castelet de trois mètre carrés,
exécute avec l'étonnante dextérité du magicien.
Une
ribambelle de personnages
Sortent
du chapeau, une ribambelle de personnages qui habitent tous
nos neurones torturés par la grâce d'un glissement
permanent de décors photographiques, de lumières et
d'images dont le chef d'orchestre est en coulisse :
Emmanuel Valette, photographe, pourvoyeur d'images, dealer
d'ambiance, tel un Faust cathodique.
un court clin d'œil au rap, un détour par Elvis
Presley, d'une jeunesse éternelle, une bande son
électronique répétitive et lancinante viennent ponctuer le
monologue intérieur d'un Faust revisité par la modernité.
De
la haute voltige
Airy
Routier et la compagnie du Hérisson donnent vie à la
légende et au mythe en convoquant successivement le
théâtre, le cinéma, la musique, la lumière, le son, ou
tradition et modernités se télescopent en un mélange au
souffle vertigineux. De la haute Voltige.
LES
DERNIÈRES NOUVELLES D'ALSACE
Franck
Buchy-publié le vendredi 26 novembre
2004
Le
Faust en copie d'Airy Routier
Le castelet fondu au noir dans la scène obscur ressemble à
un crâne qui baille; mais aussi à une baraque à frite, ou
encore à un poste de télévision. Une enseigne précise sa
destination : il y est écrit en lettre de lumière : Théâtre
national. C'est donc bien un comédien qui vient se glisser
dans la boite. Seul. Homme à tout faire; il se maquille,
anime les décors, allume et éteint sons et lumières. Il
manipule le réel en magicien. Seul, l'artiste Airy Routier
a droit de vie et de mort sur tout. Normal, il incarne
Faust. "L'énorme texte de Gothe", comme il dit, traduit ici
par Gérard de Nerval.
Jouissance
et curiosité
Une version ramassée et concentrée en un lieu et en une
personne qui extrait au mieux la substance universelle et
intime de l'œuvre. Elle renvoie à la dualité qui
tempête dans nos psychiques à tous, à la duplicité de nos
élans, à l'horrible regard du miroir. Airy Routier dénude
nos âmes comme la sienne. Il est à la fois Faust et
Méphisto, victime et bourreau de lui-même. il est aussi
bouffon, magicien, sorcière, amante, Frankenstein... Il
personnifie le diable, un peu la morale. Ses images sont
couleur sépia; ses ambiances sont ludiques et généreuses.
Prestidigitateur au corps et au mains agiles, le comédien
passe d'un personnage à l'autre avec fluidité et
retournement de veste. Il entame son récit dans la vieille
légende apparue en Allemagne au début du XVI siècle. Un
célèbre magicien vend son âme au Diable pour satisfaire son
désir de jouissance et de curiosité. Le héros séduit
ensuite Marguerite qu'il abandonne avec son enfant.
Condamnée à mort pour avoir tué son enfant, Marguerite sera
sauvée par son repentir. Faust, lui, incarne plus que
jamais les tiraillements entre le bien et le mal, Dieu et
le Diable.
Mais Airy Routier - qui travailla entre autre avec Joël
Pommerat et Jean-François Sivadier - donne surtout à voir
l'art de jouer : jouer à Faust, jouer à l'acteur, jouer au
jeu. En démiurge solitaire, il construit son univers en
quelques coups de Rubik's cube, miroir au multiples
facettes de nos inconscients colorés. Jamais personne
auparavant ne nous aura offert une telle vision de la
puissante et poétique langue de Gœthe. Bien joué, le
diablotin de foire!